Poésie

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Sur cette page sont publiés tous mes travaux poétiques.

50 poèmes ont été achevés.

1844 vers ont été écrits.

Tous ces poèmes, tous ces vers sont réunis dans un recueil appelé Igné

Igné

Par F. de Lancelot

L'Orgueil des Drapeaux
et des flammes

L'Aigle noir de Prusse

Souvenirs de Paris I

Revivant le meurtre d'Abel
Par ce spectacle surréel
À terre drapeau glaive en main
Attaquée au bord d'un chemin
La jeune femme aux longs cheveux
Par un Caïn fuligineux
Le sinistre aigle noir de Prusse
Sans qu'aucune autre issue ne fut-ce

L'Année terrible

Souvenirs de Paris II

« Ô spectacle ! ainsi meurt ce que les peuples font !
Qu'un tel passé pour l'âme est un gouffre profond ! »

Victor Hugo

Sous le crépuscule naissant,
Le ciel s'assombrit. Connaissant
De l'histoire son épistrophe,
Le mystérieux sphinx théosophe,

Gardien du monde souterrain,
Se souvient des lances d'airain,
Du sang qui ravinait les champs,
Des pleurs, de l'absence de chants.

La figure laurée, l'orant,
Le regard levé, implorant,
Se traîne jusque la hauteur.
L'antique sphinx consolateur

Et la belle ange anéantie,
Mains, visages en synanthie,
Communient sous ce ciel d'automne
Que la fumée noire cotonne.

Au-dessus des derniers flambeaux
Résonne le chant des corbeaux
Qui seul apaise mon émoi.
Ô belle ange, pleure avec moi.

Pour la France

Souvenirs de Paris III

C'est cela mon époque. Et c'est cela, la vie de l'humanité, toujours. C'est ce massacre sordide, ce soir, et ce pur combat, ce matin.
Que pouvez-vous imaginer d'autre ? Puis-je regretter Paris et sa torpeur ? Mais le Paris que j'aime, c'est celui des siècles pleins de sang. Est-ce qu'il n'y a pas du sang sur les pierres du Louvre ? Ici les gens ont encore voulu passionnément quelque chose les uns contre les autres.

Les Français avaient fait des églises et ils ne pouvaient plus les refaire ni rien de semblable : toute l'aventure de la vie était dans ce fait, la terrible nécessité de la mort.

Pierre Drieu la Rochelle — Gilles

La nation et la guerre ne font qu'un, puisque la nation, c'est l'ensemble des hommes qui font la guerre côte à côte.
Toute destinée humaine et sociale n'est justifiée que si elle prépare la guerre.

Ivan Čolović — Le Bordel des guerriers

Le Poing de Njörd

Alors qu'à l'horizon Sól se couche,
La nef glisse sur cette mer farouche
Où voudraient se refléter les étoiles
— Et la tourmente chahute les voiles.
Le bateau roule, tangue, inglorieux ;
Danse, comme ivre, sur les flots furieux.

Mais ces flots, houleux, écarlate,
Que le soleil déclinant irradie,
Mêlent à leur fauve incendie
La mordorure qui éclate
Soudainement à la surface :
Le Kraken, sinistre carcasse.

À l'autre bout des continents,
Dans bien des lieux fascinants,
Ulysse aussi avait lutté :
Par Scylla, persécuté,
Ou souffrant de Poséidon
La colère. Ni abandon
Ni résignation ne chantaient
Dans sa tête. Ses vœux n'étaient
Que courage. La même scène,
Sur la mer hyperboréenne
S'illustre : Ce n'est non Scylla
Mais le Kraken qui se tient là
— Et Njörd dépourvu de pardon
En place de Poséidon.

Ce terrible monstre marin
Surgi de la noirceur profonde
Est une incarnation immonde
Du poing de Njörd, le souverain
Des vastes mers, du feu, du vent
— Il est le gardien malfaisant.

Les tentacules de la bête
Sont de puissants doigts ; la tempête
Qu'ils provoquent en saisissant
Le kenar le secoue passant
De bâbord comme de tribord
Tous les marins par-dessus bord.
Et la mythique pieuvre enchaîne
Ce dragon fatigué, l'entraîne
Dans les profondeurs — son donjon
— Lui offrant l'ultime plongeon.

Le Sourire du pendu

Avec une certaine nonchalance,
À son arbre, le pendu se balance.
Comme il est fier de son nouveau collier !
Et s'il fallut au dos ses deux poings lier,

C'était pour mieux exposer à la horde
Sa somptueuse parure de corde.
Il se pavane, le menton bien haut,
Lui qui hennissait quelques jours plus tôt.

Le faisandage ronge sa peau brune ;
Des vers en sortent comme d'une prune.
Pourtant, le soir, quand souffle l'aquilon,
Comme s'il était joué du violon,

Il danse tel un faune, cabriole,
Claque son intestin sur sa guibolle ;
Il vole au gré du vent, comme un drapeau
— Parfois tombe même un bout de peau.

Le matin, sa carcasse reposée
Qui ruisselle d'une fine rosée
Aime à accueillir quelques étourneaux
Utilisant comme des marches d'escabeaux

Ses côtes décharnées. Là, ils picorent
Sa chair, extirpent des vers qu'ils dévorent.
Un vol de corbeaux s'est plus tôt repu
De ses yeux et de son visage lippu.

Ainsi, hormis quelques lambeaux pendants,
Ce visage n'a gardé que ses dents.
Mais le pendu ne reste pas de marbre :

Sans lèvres, il apparaît souriant.
Quelle joie ! il peut enfin, insouciant,
Se balancer à la branche d'un arbre.

Le Faux Prophète

Alors qu'à l'ouest de la mer rouge, là où, paisibles,
Près du Nil, dormaient sphinx et pharaons antiques,
L'Est n'était que vastes étendues désertiques,
Terres stériles aux horizons prévisibles.

Sur les rives du Nil, de grands temples dorés
Avaient trôné. À l'Orient, n'étaient adorés
Que pierres et cailloux de cette terre aride.
Là-bas le cœur des hommes aussi était lapide.

Et pourtant, parmi ces hommes au teint halé,
Sous ce vif soleil qui jamais n'était voilé,
Naquit l'homme aux 201 noms, le faux prophète,
Cet escarpe, ce pédophile et meurtrier !

Il se pensait héraut mais n'était que le fils
Au-dedans, ce ne sont que des loups ravisseurs ;
Sous ses apparences de brebis, chaque darne
De cet escarpe, pédophile et meurtrier

Il se pensait héraut mais n'était que le fils
D'une femme dont le ventre, forcé par Iblis,
Délivra cette engeance vile et contrefaite :
Cet escarpe, ce pédophile et meurtrier !

Frappé par la coruscation de Gabriel,
Il se pensa saisi par la grâce du Ciel ;
Pourtant il était toujours l'apôtre du mal,
Cet escarpe, ce pédophile et meurtrier !

Car de la voix de l'archange, en fait il n'oyait
Que celle de Sheïtan qui le dévoyait.
Il restait, sans le savoir, l'apôtre du mal,
Cet escarpe, ce pédophile et meurtrier !

Ce chafouin se prenant pour un lampadophore
qu'encore on vénère sans qu'il ne se dédore.

Suivant la voie tracée par ce faux prophète — qui besognait avec la même vigueur odalisques et chameaux —, ses disciples, à travers les siècles, brûlèrent livres, détruisirent statues, anéantirent des cultures entières.
La seule considération æsthétique qu'ils n'aient jamais eue, fut de voiler leurs femmes, si laides le visage à découvert que leurs chameaux en chiaient des vers.
Ce beau modèle de Médine, qui gamahuchait filles et langotait garçons, ravageait villes et assassinait poètes, professait une religion à la philosophie aussi stérile que les terres qui l'ont vu naître.

Gardez-vous de ces faux prophètes bénisseurs,
Au-dedans, ce ne sont que des loups ravisseurs ;
Sous ses apparences de brebis, chaque darne
De cet escarpe, pédophile et meurtrier

N'est qu'épines et chardons. Cueille-t-on donc
Des raisins sur des épines ? ou sur des chardons
Des figues ? Il n'y aura de fruits, car s'incarne
Dans cet escarpe, pédophile et meurtrier,

Le grand loup dévorant son peuple consentant
Et la plus grande réussite de Satan.

L'Éloge d'un meurtre

Comme je marche seul à travers les bois sombres,
Hagard, accompagné d'à peine quelques ombres,
Sous ce feuillage épais mon penser semble vain.

Pourtant, j'entends frémir comme une créature ;
Ce léger bruissement — celui de la nature —
N'est que l'incarnation du silence divin.

Mais comment pourrais-je tolérer sa présence ?
Moi qui ai refusé de prêter allégeance.
Comment pourrais-je ? — j'ai brûlé Sa maison.
Oui ! de mes mains brûlé ! et pourtant sans raison…

Et ici ne s'est pas arrêtée ma démence
Car j'ai aussi tué, chargé de véhémence
— Tué avec raison cet enfant de putain,
Le laissant à terre… pathétique pantin.

J'ai beau eu vénérer des divinités mortes,
J'ai beau eu incendier de notre Dieu les portes,
J'ai beau eu refuser d'emplir pour Lui les sportes,
J'ai beau eu mépriser jusqu'aux derniers cloportes,

Quand je m'assois au sol avec un mauvais vin,
Que je ferme les yeux, refusant Sa présence,
Son silence brille comme une incandescence
Sur mes pensées noires — le silence divin.

Première Confession (Icare)

Voyant l'aigle chaque jour le soleil frôler,
Hanté par l'ombre pesante du purgatoire,
Tel Icare s'élançant de son promontoire,
Pour fuir les ténèbres, je voulais m'envoler.

Par vanité, j'approchais de l'astre ocellé.
Je voulais égaler Sa bonté, sans savoir
Qu'à trop approcher la Lumière, ce pouvoir
Allait désagréger mon faible corps ailé.

Mais j'ai compris durant ce tourbillon sans fin :
Il m'a offert les ténèbres — cadeau précieux.
Je n'ai besoin ni de lueur ni de prière ;

Et quand cette chute s'arrêtera enfin,
Je me relèverai, le regard vers les cieux,
Car mort, mon âme deviendra pure lumière.

Le Banquet

Sous un voile de pourpre, festoyaient bruyamment des hôtes complaisants et leurs invités d'Orient. Les premiers s'allongeaient ou mangeaient accroupis ; d'autres, sur le ventre, tiraient à eux la viande et se rassasiaient, appuyés sur les coudes, dans la pose pacifique des lions lorsqu'ils dépècent leurs proies. Dans cette clameur, les terminaisons élégantes de la langue des premiers se heurtaient aux consonnes du désert, âpres comme des cris de chacal.
Sur la grande table du banquet, des jambes s'éployaient, tenues écartées par les hommes du désert. Dieu ! c'était là la belle ange, chacun l'enfourchait, l'un après l'autre, parfois même à deux — et les hôtes, ses enfants, regardaient, indulgents.
Sur la table, le corps de la jeune femme et son sang se mêlaient aux sauces et aux jus ; elle était devenue, sous la violence des hommes des sables, viande parmi les viandes. On aurait pu brûler le Louvre ou Notre-Dame, les yeux de ses fils auraient été tout autant éteints : ils se gavaient de viande et s'abreuvaient de vin — rien d'autre pour eux n'importait.

La Poétique des flammes

La Chambre et le Néant

La chambre,
Havre de solitude où nage le tourment,
Havre aux sanglots parfaits, sans perle ni sans lame
Où se noient les espoirs, où l'esprit, doucement
S'émembre.

Néant !
Écho cannibalesque et pourtant oriflamme
De l'angoisse absolue, de l'infinie terreur,
Dévoreur d'étoiles scintillantes en l'âme
Séant.

Ô chambre,
Havre tumultueux, règne du dévoreur.
Au travers de la nuit, ténèbre sidérale,
Le poète, l'esprit encore épars, l'horreur
Remembre.

Néant !
Oh ! Toujours le néant ! La chute vespérale
Te couronne, ô néant. Tu domines, sournois,
La nuit et son esprit — agonisant d'un râle
Fluent.

La chambre,
Calice aux voluptés, sépales comme harnois.
Gouffres vertigineux, de la muse déclose,
Brasillent de grands yeux mêlés d'un vert siennois
Et d'ambre.

Néant !
Sans elle, fanaisons, mort des vers, de la prose
Ton règne est annoncé, ô l'infinie noirceur…
Mais la beauté triomphe ; et ton empire explose
Béant !

La chambre,
Triste cénotaphe, souvenir de l'horreur,
L'odeur capiteuse de la muse vénale
Dont volent les cheveux, et qui, avec ardeur,
Se cambre.

Néant !
Toi, qui la dévorais, égérie virginale,
Quel prix vertigineux pour te croire envolé :
Agonie, souffrance, langueur libidinale.
Pourtant…

Ninon

Nimbé de longs fils d'or, parure d'hétaïre,
Irradie ce visage au regard pur, félin.
Nitescence subtile et lumière d'empire
Offrant à l'univers un éclat cristallin
Né de ses dons divins : sa grâce et son sourire.

Marie

Monstre fragile couvert d'ornements
Ange aux ailes d'or diaphane et austère
Reviens étouffer en mes bras aimants
Infinie douleur ta complainte amère
Et le silence de tes hurlements

La Voix des anges

Des bas-fonds du schéol, la sombre symphonie
Vomie par cet orchestre où trône Lucifer,
Pleure ses mélodies : cors et harpes de chair
Aux lambeaux discordants, violons à l'agonie.

Quarante jours durant, une longue atonie
M'emporta en rêves. En armure de fer,
Le ténor du concert, le maître de l'enfer,
Me chanta sa manne, et ma chute infinie.

À moi la majesté, et à moi un royaume,
Ces rocs transfigurés, dont le parfum embaume.
Nul besoin de céder, du temple me jeter :

Mon genou est plié. Écoutez ces louanges !
Pourquoi par le Dæmon me laisser envoûter ?
Quand je peux entendre chanter la voix des anges.

Le Combat des Centaures et des Lapithes

Enragé, rouge et enflammé
Jusqu'à en incendier la terre,
Le ciel, dévoré de colère,
Couvrait l'horizon, sublimé.

Mille centaures galopaient,
Déluge de sauvagerie
Dont ils étaient l'allégorie,
Et à leurs lances s'agrippaient,

Déferlant sous le feu céleste
Sur ces rangs de pâles humains,
Glaives et boucliers en mains,
Résignés à leur sort funeste.

Le chaplis de ces luttes vaines,
Corps traversés de javelots,
Crânes broyés par des sabots,
Résonnait à travers les plaines.

Ils pouvaient s'anéantir, tous ;
Mourir hurlant ou en silence,
Car inlassablement s'élance
Sur l'horizon Sol Invictus.

Le Souffle du temps

Oiseau incandescent, immuable, porteur de chants perdus,
Ô combien encore devrai-je en ce monde subir
D'ineffables souffrances, de dévorations charnelles,
Souffle inlassable, enflammé, balayant l'univers.
Avant moi ? le néant. Après moi, le déluge.
Et mon incandescence, illusoire apothéose,
Insignifiance sublime de mon existence,
Siècle après siècle, ô triste vanité du présent,
L'horizon n'est que flammes, le passé n'est que cendres.

Quelle mélodie rédemptrice pourrait-elle annihiler
Ces dæmons qui me poursuivent depuis ces temps oubliés ?
Les forges d'Euterpe n'existent pas, seule sa voix,
Son génie, son inspiration soufflent sur moi.
Les yeux fermés, j'entends, j'entends hurler le passé !
Explosions oniriques, folie dévoyée, échos lointains…
Oiseau incandescent, immuable, porteur de chants perdus,
Ô je t'en prie, Néant ! Ouvre tes bras, accueille-moi,
Montre-moi la poétique des flammes, pour qu'enfin,
En ton sein, la grâce æternelle me soit offerte.

Ors en agonie

Aurore

Jouissant du silence sur ces quais embrumés,
Je distingue à travers les croisées quelque vie ;
Ces êtres qui veillent encore sans envie,
Les forçats, les solitaires, les mal-aimés ;

Mes amis inconnus, compagnons d'infortune
En quête d'affection, d'oubli ou d'assommoir,
Connivence des maux, concert du désespoir,
Ô misère infinie, solitude opportune…

Venant briser mon soin, se tire à l'horizon
Une fragile allure enveloppée d'un châle
Qui borde et dissimule un visage si pâle
Qu'on le croirait chanter quelque triste oraison.

Comme le vent souffle sur ces quais gris et vides,
Le puissant Éole, sensible à mon émoi,
S'empare du foulard et découvre pour moi
Ce charmant visage constellé d'éphélides.

C'était comme voler un trait de nudité :
Ses pommettes rondes, ses yeux de chrysoprase,
Ô ses longs cheveux roux que le soleil embrase,
Qui dansent sous l'aurore avec légèreté.

Aurore, est-ce son nom ? Je me plais à le croire.
Trop calme, trop belle — la nacre d'un éveil —,
ne pouvant que se joindre au lever du soleil,
Elle pourtant si triste sans son châle en soie noire.

Le suivant du regard, ses yeux opalescents
croisent les miens. Ô Dieu ! Quelle mélancolie !
Seigneur… c'est elle aussi une sœur d'agonie
— Larmes invisibles, cœur et âme ignescents.

La locomotive, crachant de la fumée,
S'approche. Aurore s'avance de trois pas.
Elle fuit mon regard et ne me parle pas.
Elle se laisse choir sur la voie embrumée.

Tombeau matutinal

Je n'entends pas un bruit : ni pleurs ni hurlement.
C'est un calme étrange qui emplit l'atmosphère ;
Alors, un peu sonné, égaré, je me terre
Dans un long mutisme — mon seul apaisement.

J'ai beau me tenir droit, silencieusement,
Chaque discours, pensée, murmure, commentaire,
Oui, chaque impression est un pas supplémentaire
Sur le sentier qui mène à mon effondrement.

Si je le sais dormir d'un æternel sommeil
Et qu'il ne reverra plus jamais le soleil,
Je ne réalise toujours pas son absence.

Si j'entends encore ses rires, ses humeurs,
Ils ne font que trahir ces sinistres horreurs :
Son corps rigide, froid, et son profond silence.

Lise

Lentement, son regard pâle,
Iris noir cerclé de bleu,
Se lève vers moi. Alors,
Enlisé le temps s'arrête.

Cybèle

J'avais comme perdu foi en la vie.
Élans de passion, de désir, d'envie,

Tremblements, frissons, simple émoi :
Envolés — plus rien ne sourdait en moi.

Doucement un froid brumeux prenait place
Emplissant mes meurtrissures de glace.
Soudain, comme un flot de lave, je vis surgir,
Incandescence bénie, du désir,
Rouvrant des parts de moi pourtant scellées.
Élégance des mots et corps mêlées.

De la croisée opaline rayonne…

De la croisée opaline rayonne
Une lumière froide et immaculée.
Le regard perdu vers cette vesprée
Tu vis coupée du monde, jeune madone.

Les meubles et les murs couleur céruse
Ne brisent ici nulle solitude.
Tu es là, sereine, sans turpitude,
Et pour mon âme meurtrie, une muse.

Le silence de Dieu n'est plus, pour moi,
Source de terreur : Je suis en émoi
Face au silence de ce blond torrent

Ondoyant sur ton épaule dorée,
Caressant tes jambes nues, mordorées.
Je m'effondre à genoux ; je suis orant.

Silencieuse agonie

Elle agonisait en silence,
Cette dame au regard serein.
Son long nez, humant l'air marin,
Dardait au ciel comme une lance.

Elle avait presque fière allure,
Lavée par la pluie et le vent ;
Son visage était éclatant,
Même si piqué de vermoulure.

Quelque lèpre d'un vert douteux,
Aux velléités vagabondes,
Camouflait ses rides profondes
D'un manteau souple et duveteux.

Tant charmés par ses airs timides,
Des colonies d'insectes, vers,
Champignons aux dessins divers
Grandissaient sur ses pieds humides.

En silence, elle pleurait. Pourtant,
Les plus anciens, les plus fidèles,
Avec à la main leurs chandelles,
Oubliant leur vie un instant,

Poussaient la porte de la dame,
Y pénétraient avec respect,
Admiraient la grâce et l'aspect,
Et laissaient se noyer leur âme.

Elle n'avait de ses grandes sœurs
Pas l'allure ni le prestige.
Elle n'était pas l'enfant prodige
De Chartres, de Reims ou d'ailleurs.

Cette dame seule et sans âge,
Au cœur de ce hameau perdu,
Avec son vieux clocher tordu,
C'était l'église du village.

Des yeux d'un marbre vert émeraude

À la surface de deux lacs gelés,
Agonisaient de blancs reflets de lune
Si troubles que les ires de Neptune
Semblaient comme sous la glace celés.

Et sous l'hæmorrhagie du crépuscule,
Les lacs, ces deux miroirs de marbre vert,
S'obombraient, révélant dans l'œil ouvert
Une pupille noire et majuscule.

Cerclant ce tourbillon fuligineux,
L'eau vive de l'iris semblait noiraude ;
Elle perdait son pur éclat d'émeraude
Pour adopter un aspect laguneux.

Sous l'empyrée, des reflets d'obsidienne
brillaient dans la grisaille du regard.
Face à elle je demeurais hagard.
Mais il fallut qu'une rupture advienne :

De moi, un mot fin, un jeu d'esprit ;
Et un rire la prit.
Par la lune linéamentées,
Ses lèvres argentées
Ouvrirent mon penser ;
Ces yeux d'un marbre vert émeraude
Brillant dans la nuit chaude,

Ce n'étaient pas eux que je rêvais d'embrasser.

Et le lièvre dit…

Et le lièvre dit qu'aux lueurs des étoiles
L'étoffe légère glisse de son corps nu.
Dès lors elle s'approche, le regard ingénu
— Silhouette gracile affranchie de ses voiles.

À genoux près de l'homme en blessure vermeil
Elle accomplit l'exploit, de ses mains de sa bouche,
De changer le gisant allongé sur sa couche
En prince ithyphallique et noble en son sommeil.

Elle se relève, le toise avec envie.
Alors, tel le grand-duc à son tronc empalé
Elle enfourche ce pieu nouvellement créé
Opposant à ce mort sublime acte de vie.

Et comme l'amazone endiablée par l'instant
Offre au prince endormi de ses lèvres avides
Un baiser passionné, s'ouvrent ses grands yeux vides
Sur ce corps dénudé, chaud, vibrant et suintant.

L'ange enchaîné

Sur le tronc d'un arbre de vie
Aux branches lourdes de splendeur,
Vêtu d'un pagne de pudeur
Était un ange en agonie.

Ses grandes ailes, calice éployé,
Étaient là clouées à même l'écorce,
Arche de plumes, portail dévoyé
D'une architecture à la courbe torse
Au sol ancré mais du ciel envoyé.

De lourdes chaînes entravaient ses gestes ;
Pourtant il luttait, les muscles tendus,
Sculpture de chair aux élans célestes,
On aurait juré ses espoirs perdus
— Rage et affliction étaient manifestes.

Las et dénudé, son corps albescent
Était un tableau fait de meurtrissures
Et tracé avec pour encre du sang.
Cette toile était faite de blessures
Qui pleuraient vermeil. Pauvre ange impuissant !

Ses chaînes tintaient l'une contre l'autre
Et ses murmures, râles de douleur,
Avaient des allures de patenôtre.
Chante symphonie ! Oh ! bel ange au pleur,
On sait ta souffrance, écho de la nôtre.

Cette litanie adressée aux cieux,
Mêlant désespoir, affliction et rage,
Sortant de sa gorge au timbre gracieux,
C'était pour lui comme emplir une page,
Une harangue de vers audacieux.

Du tronc de cet arbre de vie
Aux chaînes lourdes de malheur,
Abandonnant là sa splendeur,
S'échappait l'ange en agonie.

De l'arbre,
Les racines étaient nues.
Les branches désormais mortes
Jonchaient un parterre sanglant.

Des ailes,
Il ne restait que lambeaux
Et plumes virevoltantes.
Les clous trônaient en l'écorce.

De l'ange,
Le sang perlait à longs flots.
Ses chairs étaient écorchées,
Ses yeux pas même séchés.

Extrait de ses entraves,
Libéré de ses liens,
L'ange battit des ailes ;
Il voulait s'envoler.

Comme enfin il goûtait
À cette liberté
Ses ailes lacérées
Et son corps se gangrenèrent

Sa chair se putréfia
Et ses entrailles se vidèrent
Les flots vermillions
Jadis torrentiels
Se tarirent et séchèrent

Son chant autrefois mélodieux
N'était plus qu'éraillement
Éraillement pathétique
Éraillement disharmonieux

Et même ses larmes

En oublièrent leur poésie

Enfin libre

Il tomba à genoux

Et mourut en silence

Flambe

Flambe nocturne

Ô me pardonnerez-vous ? si je paraphrase
Le grand Paul Verlaine en vous disant faire souvent
Ce rêve étrange et pénétrant, car oui, souvent,
Je fais ce rêve familier qui m'embrase.

Il est nappé d'une brume lourde et épaisse,
Avec comme seules lumières brillant
Dans le ciel la lune et ses larmes criant
En silence sa solitude et sa tristesse

— Mais a-t-on déjà vu la lune autre que triste ?
À travers les vapeurs diaphanes elle vient
Flatter votre peau et alors ce corps devient
Une statue d'albâtre, chef-d'œuvre d'artiste ;

Et comme si Rome était encore l'Impériale,
Comme si brillaient Athènes, Sparte ou Argos,
Vous, mon Aphrodite Ourania ou Pandémos,
Sous cette obscure lumière vespérale,

Vous m'apparaissez. Beauté pâle, hellénistique,
Vos cheveux brillent sur vos épaules, couchés
Comme si le roi Midas les avait touchés.
Je m'imagine leur parfum, arôme antique

Venu d'orient, de Grèce ou de la Rome antique,
Douce odeur d'ambroisie ou peut-être de fleur ;
Sa senteur flamboyante est pour moi un bonheur
— Un ravissement m'évoquant l'art romantique.

Voilà que nos regards se croisent — tragédie.
Soudainement, par pudeur ou par cruauté,
Votre visage disparaît — atrocité.
Vous commettez ce geste qui me congédie :

Vous me tournez le dos. La longue chevelure
Qui nimbait vos traits d'ange s'allie désormais
À la brume pour vous voiler à mes yeux, mais
S'esquisse toujours devant moi votre charnure

— Aussi, je laisse mon pied rompre le silence.
D'un premier pas qui résonne pesamment,
Anxieux, je m'approche inexorablement ;
D'un deuxième, puis d'un troisième pas j'avance.

Alors que j'avance, des frissons me parcourent.
Je suis comme attiré par ce reflet opalescent
Sur votre épaule nue — je me sens tumescent.
Dans vos longs cheveux blonds et lisses, mes doigts courent ;

Mon visage s'y plonge, enivré du parfum ;
Mes mains libèrent vos épaules douces, blanches,
Puis glissent le long de vos bras jusque vos hanches
Nues, et votre cou, mes lèvres l'effleurent enfin.

Mais Hélios, dans son aurorale cruauté,
Vient lécher mes paupières de ses rayons,
Ne me laissant pour vêtement que ces haillons :
Les souvenirs écorchés de votre beauté.

Le Silence des étoiles

Comme Hélios a chuté et que sonnent complies,
La voûte céleste surgissant du néant
Se pare d'étoiles en un reflet géant
De mes iris sombres, d'astérismes emplies.

Orion, sur les cornes du taureau, rocambole
Sous le regard ravi du vieux cocher, clappant
Avec joie ses deux mains. Éridan se répand
Inexorablement le long de la coupole.

Andromède brille nue dans le firmament
— M'évoquant ma divine et belle fiancée.
Enchaînée, tend-elle la paume vers Persée ?
Veut-elle retrouver les bras de son amant ?

Peut-être songe-t-elle à chevaucher Pégase,
Hurler, cheveux au vent, sa joie ou son malheur,
Cataractant du ciel, sans peur et sans douleur,
Avant qu'au sol enfin son roussin ne s'écrase.

L'étoile du Berger, opale scintillante,
Ô Vénus callipyge à la robe amarante,
Dévoile sa rondeur à Mars, à Jupiter,
Tandis que Saturne, seul dans son bain d'æther

Et regardant au loin cette peinture immense,
Comme un jeune prince, parade ses anneaux,
Honorant cette toile embrasée de fanaux
— Ces astres magistraux qui chantent en silence :

Vastes nébuleuses spirales
Des æternités sidérales
Sur ce vélin fuligineux
Au gabarit vertigineux
Dansant sur une symphonie
De grands amas en syntonie ;
Étoiles en défloration
Et trous noirs en dévoration,
Des iridescences pulsantes,
Des comètes opalescentes,
— Perséides cavalcadant
Dans cet univers spumescent ;
Ô de splendides galaxies
Abritant, en ataraxies,
La trop rougeoyante Arcturus
Et la bienveillante Sirius,
Une Bételgeuse mutine
Ainsi qu'une Deneb lutine,
Une Véga, une Altaïr
— toutes semblent s'épanouir
En ces personnages antiques,
Constellations ithyphalliques
Ou innocentes tapissant
À travers ce trait lactescent
La divine coupe céleste
De cette opacité funeste.

Dans ce silence,
Des larmes s'épanchent, sous la pâle uranie,
De mes iris noircis, ne pouvant s'abstenir,
De mon Iris, noircie — au triste souvenir
De cette aorasie voilée de vésanie.

Dans ce silence,
Que seuls interrompent les murmures du vent,
Le bruit de mes genoux heurtant le sol de pierre
Éclate bruyamment, comme un coup de tonnerre
Ne laissant après lui qu'un écho survivant.

Et ce silence,
Sonne comme le chant d'un élégiaque adieu ;
Ce silence, le vôtre est aussi angoissant,
Ce silence, le vôtre est aussi terrifiant
Et plus glaçant encor que l'absence de Dieu…

Comme sainte Agathe

À cent lieues des esquisses adipeuses
Que tu traces en lignes vaporeuses
Incarnant un chimérique reflet
Sur tes toiles ou ton carnet secret,
Je ne vois, face à moi, ithyphallique,
Que ta silhouette nue — idyllique.
Car si ton pinceau sait tout magnifier,
Pour te peindre, sans vouloir te défier,
Tu ne peux pas t'y fier.

Je m'effondre devant ta chevelure
Nimbant ce corps, travail de ciselure
Mêlé d'or et de platine ; ces yeux,
Sucrés, teintés d'ambre et de miel, je veux
Les voir pleurer — passez-moi par les armes —
Pour pouvoir juste en goûter quelques larmes.
Je veux caresser ton flanc déchiré
Ou le haut de ton ventre lacéré,
Et pourquoi pas te claquer une fesse
Qu'un rose teinte avec délicatesse
Pour y laisser de ma main le dessin.
Puis je déposerai un doux larcin
Sur ces joues de petite fille sage
— Je ne rêve que de baiser ce visage,
Ô et ce corps en nage.

Comment ensuite ne pas te jeter
Sur le sol ou sur le lit et lever
Tes jambes, qu'elles pointent vers la lune.
Puis dans cette position opportune
Me glisser entre elles et de mes mains
Saisir tes hanches, suivre le chemin
De tes plaies, lécher une cicatrice
Ou alors embrasser ton ventre lisse
Tout en te tenant les bras fermement
— Que tu te sentes à moi un moment.
Enfin, arriver à ces éminences,
Ces deux misérables protubérances,
Ces arènes ravinées par le fer :
Tes deux seins qui ont traversé l'enfer.
Ô tu aurais pu, comme sainte Agathe
— Qui l'a souffert sans qu'elle ne se débatte —
Avec une pince les arracher
Et avec ton sang rouge, tout tacher,
Couvrir le sol et ton corps de garance,
J'aurais eu pour toi la même attirance.
Ô superbe comme sur ce tableau :
L'Agathe de Francesco Guarino
— Pas celui de Piombo.

Le Vase

Il était un vase de porcelaine
Posé sur une grande table en chêne.
Las ! je le poussai d'un geste innocent
— Il vrilla. Le vernis opalescent
Qui brillait, scintillait sous la lumière
Venant de la croisée du mur de pierre
Répercutait tour à tour nos regards ;
Nous étions assis tous deux, comme hagards.
Las ! je lutinais encore le vase
Qui virevolta sans qu'il ne s'écrase.
Ce vaisseau ivre n'avait peur de rien,
Il se mouvait d'un pas vif, aérien ;
Il frôlait les bords, fier comme un vicomte.
Je le regardais, sans me rendre compte
Qu'il vacillait trop pour ne pas chuter
— Si seulement j'avais su m'arrêter…
Las ! las ! je le vis chanceler, instable,
Avant de basculer hors de la table.
J'aurais tant voulu que vos yeux de miel
Me fusillent ou se lèvent au ciel,
Ou que sur mon bras, votre main se pose
Afin que ma folie se décompose
— Que vous me murmuriez tout simplement
À l'oreille des mots d'apaisement.

Je ne pris pas tout de suite conscience
Du désastre et gardait mon insouciance.
Vous, restiez atone, car rien qu'au bruit
Vous saviez que le vase était détruit.
Mais moi, en voyant au sol les brisures,
J'imaginais ressouder les jointures,
À la japonaise, en utilisant
Quelque laque mêlée d'or ou d'argent.
Alors, comme je me voilais la face,
Sous mes yeux tristes, d'un geste sagace,
Pour quelque part me servir de nocher,
Ces éclats qui jonchaient notre plancher,
Du talon vous les avez écrasés
— Le beau vase était à jamais brisé.

Ici résonne

Ici résonne
Résonne en moi
Incessamment
Son nom béni

Iris *invenit*

Fragments épars d'une
Relation défunte
Affaiblie depuis votre absence.
Nulle rancune n'est
Capable de rompre,
Ô mon Amour, l'
Irrépressible flamme :
Sourde brûlure incurable.

Lapsum Angeli

Lapsum angeli, I

Ô ciel ! Ô nuit ! Ainsi, c'est donc cela déchoir…
Nulle imprécation, nulle colère divine ;
La sentence ? pas même une phrase assassine
— Seule la gravité qui reprend son pouvoir.

Ô tant d'æons passés tout en haut de mes nues
À observer, taiseuse, ces morts advenues.
De mon éternité, j'ai épié tant d'horreurs,
Contemplé massacres, agonies et malheurs :

J'ai vu le déluge s'abattre,
Oui, anéantissant chaque âtre,
Engloutissant des monts glorieux,
Des plaines, des hameaux heureux
— Ce jusqu'aux dernières chandelles.
J'ai pu admirer, grâce à elles,
Les trompettes de Jéricho,
Les murs tomber sous leur écho.
J'ai pu voir la chute de Troie
Et Ulysse servir de proie ;
Ménécée sauter des remparts,
Thèbes offerte aux charognards.
J'ai vu l'Acropole souillée
En haut d'une Athènes pillée ;
Et sur le mont sacrificiel
Le fils de Dieu monter au ciel
Comme moi j'en tombe, bannie.
J'ai vu Rome en une sanie
S'anéantir nonchalamment,
Elle qui était au firmament.
J'ai vu des vagues de croisade
Rouler sur l'Orient, myriade
D'hommes armés qui se jeta
Pour sauver la *Terra Sancta*.
J'ai vu la peste se répandre
Et des milliers d'incendies prendre,
Le déclin de tant de nations,
L'agonie de tant de passions.

Les prunelles vides, bien qu'emplies d'amertume,
J'observais, aride, tragédies et splendeurs.
Nulle ne m'a touchée, moi, parmi ces malheurs,
Comme son affliction infinie — et sa plume.

Lapsum angeli, II

Pensées errantes
Bougies fumantes
Orgie de vin
Souffle divin
Douce atonie
Lente agonie
Un aigle au flanc
Larmes de sang
Encre de larmes
Traçant des carmes
Pour le néant
Innocemment

Lapsum angeli, III

Les ombres chaque nuit tomber sur la ville,
L'aiguille sur l'horloge a beau tourner,
L'aurige dans le ciel Hélios charrier,
Les ombres chaque nuit tomber sur la ville,
Cette grande procession inutile
De mots corrosifs — mes insanités —
Sont oripeaux emplis d'inanités.
Charmant coutelas en soif de garance,
Est-ce donc toi ma seule délivrance ?
Ton reflet, un éclat sur l'horizon,
Ton offre, mon seul acte de raison.
Si j'étais plus mâle, dis-moi, viendrais-je
Dans ma poitrine ta lame planter ?
Ne laissant plus mes démons me hanter.
Si j'étais plus mal, peut-être oserais-je…

Quel est ce fil invisible et ténu
Qui las me retient encore à la vie ?
L'amour du beau, l'art, ou la poésie ?
— Sa présence seule m'a retenu.
Du dehors, elle me regarde en silence.
Ange de lumière, elle n'a pas conscience
Qu'elle est ma muse, mon inspiration,
Qu'elle nourrit ma dernière passion.

Le Poète et la Muse

Le Choeur

Une ange tombe
Pourquoi tombe-t-elle ?
N'a-t'elle donc pas d'ailes
pour voler ?
Faites donc silence
je l'entends déclamer.

L'ange

Ô ciel ! Ô nuit ! Ainsi, c'est donc cela déchoir…
Nulle imprécation, nulle colère divine ;
La sentence ? pas même une phrase assassine
— Seule la gravité qui reprend son pouvoir.

Ô tant d'æons passés tout en haut de mes nues
À observer, taiseuse, ces morts advenues.
De mon æternité, j'ai épié tant d'horreurs,
Contemplé massacres, agonies et malheurs :

J'ai vu le déluge s'abattre,
Oui, anéantissant chaque âtre,
Engloutissant des monts glorieux,
Des plaines, des hameaux heureux,
Ce jusqu'aux dernières chandelles.
J'ai pu admirer, grâce à elles,
Les trompettes de Jéricho,
Les murs tomber sous leur écho.
J'ai pu voir la chute de Troie
Et Ulysse servir de proie ;
Ménécée sauter des remparts,
Thèbes offerte aux charognards.
J'ai vu l'Acropole souillée
En haut d'une Athènes pillée ;
Et sur le mont sacrificiel
Le fils de Dieu monter au ciel
Comme moi j'en tombe, bannie.
J'ai vu Rome en une sanie
S'anéantir nonchalamment,
Elle qui était au firmament.
J'ai vu des vagues de croisade
Rouler sur l'Orient, myriade
D'hommes armés qui se jeta
Pour sauver la *Terra Sancta*.
J'ai vu la peste se répandre
Et des milliers d'incendies prendre,
Le déclin de tant de nations,
L'agonie de tant de passions.

Les prunelles vides, bien qu'emplies d'amertume,
J'observais, aride, tragédies et splendeurs.
Nulle ne m'a touchée, moi, parmi ces malheurs,
Comme son affliction infinie — et sa plume.
Le Choeur
Oh ! Belle ange, dis nous, de qui parles-tu donc ?
Mais, ne nous entend-elle pas ?
Elle semble avoir perdu connaissance.
Et son aile ? elle est brisée. Pourra-t'elle à nouveau s'envoler ?
Observons plutôt dans le miroir cet appartement qui surplombe une rue boueuse.
La nuit a beau s'être installée depuis plusieurs heures déjà,
La flamme de la bougie vacille toujours à l'intérieur.
Que peut-il donc se passer à l'intérieur

Le narrateur

Pensées errantes
Bougies fumantes
Orgie de vin
Souffle divin
Douce atonie
Lente agonie
Un aigle au flanc
Larmes de sang
Encre de larmes
Traçant des carmes
Pour le néant
Innocemment
Cet individu dont la silouhette se dessine par la fenêtre, est-ce celui évoqué par notre ange endormie sur le sol ?
Silence, il parle.

Le Poète

L'aiguille sur l'horloge a beau tourner,
L'aurige dans le ciel Hélios charrier,
Les ombres chaque nuit tomber sur la ville,
Cette grande procession inutile
De mots corrosifs — mes insanités —
Sont oripeaux emplis d'inanités.
Charmant coutelas en soif de garance,
Est-ce donc toi ma seule délivrance ?
Ton reflet, un éclat sur l'horizon,
Ton offre, mon seul acte de raison.
Si j'étais plus mâle, dis-moi, viendrais-je
Dans ma poitrine ta lame planter ?
Ne laissant plus mes dæmons me hanter.
Si j'étais plus mal, peut-être oserais-je…

Quel est ce fil invisible et ténu
Lui qui las m'arrime encore à la vie ?
L'amour du beau, l'art ou la poésie ?
— Sa présence seule m'a retenu.
Du dehors, elle me regarde en silence.
Ange de lumière, elle n'a pas conscience
Qu'elle est ma muse, mon inspiration,
Qu'elle nourrit ma dernière passion.

Le choeur

L'ange a ses ailes d'or encore intactes. Cette image dans le miroir, serait-elle un reflet du passé ?
Il semblerait que chaque jour soit semblable au précédent. L'ange observe, caché dans la pénombre, mais le poète la voit, dans le reflet de l'horloge.
Il nourrit sa fascination, elle nourrit son art, mais le poète maudit et l'ange céleste ne sont pas faits pour se rencontrer. Est-ce cette singularité qui génère l'élan artistique ?
Mais voilà que soudain, disruption, le cycle se brise.

Le Narrateur

Le poète et la muse
Le choeur
le poète
le narrateur
l'ange
un ange observe un poète maudit
artiste désespoir
Innocence de l'ange
Innocence du poète
1 - en chutant, l'ange a déchiré sa robe, qui n'est au début tachée que de son sang, puis, après l'impact au sol, de quelques traces de boue.
2 - sa couronne de fleurs survit étonnament bien à sa chute.
Plus l'ange avance, plus sa couronne se fane, les fleurs deviennent maladives et meurent.
4 - En chutant, l'ange est d'un blanc éclatant, seul le rouge vif de ses plaies brise le tableau, Ses ailes sont d'un or brillant.
Jusqu'au jour où il se tourna
et croisa son regard
un regard surréel, irréel.
Effrayée comme une biche,
la jeune fille s'envola
et le poète cru apercevoir des ailes…
Mais… n'était ce pas des ailes ?
cette jeune fille, j'ai du la rêver
elle était trop belle, trop parfaite.
comme une muse céleste
sans elle, fanaison, mort des vers
plus aucune raison de vivre.
Jamais je ne trouverai à nouveau une fille comme elle.
Comprenant qu'il resterait toute sa vie malheureux
qu'il avait fait fuir sa dernière raison de vivre
il sortit de son tiroir une lame
et l'approche de sa gorge.
Mais la belle ange, qui du ciel
veillait toujours sur son poète
descendit sur terre
lacérant son corps en traversant
la barrière céleste, et de sa main
saisit le poignet du damné.
Elle le regarda dans les yeux
lui susurra "non" près de son visage
et de ses ailes remonta au ciel.
Comment inclure ce "non" dans un poème ?
C'est ainsi qu'elle avait déclenché la colère divine
et comme Lucifer avant elle, elle fut bannie du ciel.
Et c'est ainsi qu'elle chuta, chuta,
Comme le lecteur le découvrait à la première page.
bannie pour mes pechers.
elle s'écrase en pleine forêt
portant les cinq marques de la décomposition
l'une de ses ailes cassée.
elle a perdu la mémoire.
comme elle avance sans but
elle se laisse gagner par le desespoir
rongée par la pluie, le froid, la solitude
la perte de conscience de soi
o solitude infinie desespoir
qui suis-je, ou vais-je ?
un être de ténèbres s'approche d'elle
vêtu d'une grande cape et d'une capuche.
la voyant transie de froid
il lui offre sa cape.
Il lui arrache les ailes,
qu'elle puisse la revêtir
Sous l'ample cape que l'être maléfique vient d'enlever
on découvre un corps famélique, recroquevillé
habillé de noir moulant, un visage terrifiant
— le diable, donc.
Et comme les Hébreux ont traversé le désert 40 ans
comme le Christ a erré lui aussi dans le désert 40 jours
l'ange va errer pendant 40 heures
— en compagnie du diable.
Et comme il avait incité le Christ
a changer des pierres en pain
il va inciter l'ange à faire je ne sais quoi.
Comme il avait incité le Christ
à se jeter du haut du temple de Jérusalem
pour prouver que Dieu ne le sauverait pas
Il va inciter l'ange à se jeter
du haut d'une cathédrale
Comme il avait proposé au Christ
tous les royaumes du monde s'il s'inclinait devant le Diable
il va proposer à l'ange de régner sur terre
si elle accepte de se prosterner devant lui.
Mais le diable a beau l'éloigner, la détourner
inlassablement elle avance en direction de son poète
et comme elle s'est débarassée de la cape noire
— cadeau du diable —
C'est vétue d'un drape blanc qu'elle pénètre
dans la maison du poète, et qu'elle recouvre la mémoire.
tu n'as dans cette maison
qu'une âme en peine
qui ne va peut être même pas
passer la nuit
prends donc ma cape mon enfant
A t'on jamais vu regard plus triste
et pourtant plus exquis que le sien
tout à la fois d'héliodore et d'aventurine
mon talent ne brille pas plus que cette bougie…
aurais-je un gout secret, inavoué
pour la solitude et la tristesse
ma douce compagne mélancolie est reine
et le malheur roi en mon domaine.
La solitude était reine
Et le malheur roi en son domaine
et comme j'assistais, depuis l'étérnité
aux horreurs du monde
je le vis, les yeux rivés sur son horloge ronde
qui regardait le temps passer
Et comme j'observais tout cela, silencieuse
je restais impassible, bien sûr curieuse
du destin du monde, mais sans jamais interférer
Oui, l'observais tout ça, silencieuse
sans jamais intervenir
tout ça sans jamais bouger
mais comme il tombe, il se souvient
il se souvient de pourquoi sa chute
il y avait sur terre, un poète
le beau et jeune poète aux cheveux longs
seul et misérable
si misérable, qu'il était prêt à mourir.
chaque soir, il regardait la lame d'acier
luire sous la flamme de la bougie
(ce qui laisse penser à une atmosphère
sinon médiévale, au moins début XIXème)
et la jeune ange le regardait, chaque soir
par la fenêtre.elle descendait du ciel
traversait les barbelés qui la séparait
du monde terrestre
s'écorchait les chairs & les ailes
mais peu importait, elle le regardait
et priait que Dieu intervienne
et sauve cette âme en peine.
Combien d'heures, de jours, de nuits, de mois peut-être,
Du sablier divin s'est-il donc écoulé ?
Combien, depuis ce soir, où tu t'es envolé,
Bel ange aux ailes d'or, avant de disparaître.
Que vois-tu à travers ces nues en majesté
mes pleurs et mes larmes ? — ma mortelle agonie.
Belle ange celeste, pour toi, nulle harmonie,
nulle élégie — mes mots ? infinie vacuité.
Je sens pourtant tes yeux, à travers les ténèbres.
je devine ton chant, lugubre lamento
symphonie celeste,
sinistre concerto
était-elle réelle, ou mirage onirique
surgi de mon esprit rongé de solitude
par mon esprit rêvée
ou le produit de mon esprit rongé par la solitude
de mon âme dévorée par cette lassitude
de mon esprit rongé par cette triste habitude
je sens ton regard plonger à travers les ténèbres
j'entends ton âme pleurer mon malheur
mon regard est-il si terrible ?
Qu'ainsi tu le fuis, t'en déchirant les ailes.
j'en t'en supplie, réponds moi, ne m'abandonne pas
protège-moi, replie sur moi tes grandes ailes de velours
rêve éveillé ou déchirante réalité
élan créatif ou vin destructeur
poèmes mystiques ou vaines litanies
plus rien n'importe, plus rien n'a de sens
Vas-tu revoir demain l'éternelle lumière ?
Ou dans ce lieu d'exil, de deuil, et de misère,
la seule réalité, c'est que jamais je ne recroiserai
comme toi un ange ailé.
Regard divin à jamais perdu
source de mon génie créatif
abruvant mon esprit d'un torrent
de souffrance et de folle exaltation
sensibilité angelesque pour toujours disparue
sans ta présence, quel intêret à supporter l'horreur de la vie ?
non… comment supporter ton absence
oh ! non… sans simplement sombrer dans la démence ?
l'ange chute, chute, inlassablement, infiniment,
avant qu'enfin au sol il ne s'écrase
le poète voyait le visage de l'ange
dans le refletde son horloge.
Mais par peur d'effrayer cette jeune fille
jamais il ne la regardait directement.
Jusqu'au jour ou il se tourna
effrayée comme une biche
et le poete cru apercevoir des ailes…
mais… n'était-ce pas des ailes ?
Celui-ci, comme inspiré par la présence divine
couche sur le papier ses plus beaux poèmes
avant de sombrer dans une semi-folie.
cette jeune fille, il avait du la rêver
elle était trop belle, trop parfaite
comme une muse celeste.
comprenant que jamais il ne trouverait
une fille comme celle-là
que pour le reste de sa vie
il serait seul et malheureux
il prit une derniere fois sa lame en main
et l'approcha de sa gorge (de son poignet ?)
mais la belle ange, qui du ciel
descendit sur terre,
la barrière celeste, et de sa main
elle le regarda dans les yeux
c'est ainsi qu'elle avait déclenché la colère divine
et comme lucifer avant elle, elle fut bannie du ciel.
et c'est ainsi qu'elle chuta, chuta
comme le lecteur la découvrit à la première page.
fin de la première partie (si tant est que y'ait besoin
de faire 2 parties)
la belle finit par s'écraser au sol
ou ça ? en pleine forêt ? en ville ?
en rase campagne ? je ne le sais…
c'est alors qu'elle se relève
entièrement nue
le visage marqué d'écchymose
le corps ensanglanté
couvert de cicatrices
et une de ses splendides ailes cassée.
et comme elle avance à travers la ville
(à travers la campagne ?)
drapée d'un simple drap porté à la romaine
(l'a t'elle trouvé sur un étendage ?)
ses ailes, à chaque dessin, s'affaissent
se rognent, se flétrissent
(sans que bien sûr ce soit dit
ça manquerait tellement de finesse de l'expliciter)
et comme elle avance, qu'elle erre
elle se dirige sans vraiment en avoir conscience
vers la demeure de son poète.
bien sûr il pleut
bien sûr il fait froid
et comme elle avance sans but
mais enfin, alors qu'elle approche de son but
ses ailes, qui à chaque pas de désagrègent
finissent par se détacher de son corps
et au sol tomber.
c'est donc une jeune femme vêtue d'un grand drap blanc
qui pénètre dans la demeure du poète
et qui le découvrant à genoux au sol, desespéré
le sert dans ses bras contre ses seins.
et comme le dessinateur adopte le regard divin
et nous montre la scène vu de 3/4 du dessus
on voit la belle ange envelopper le poète
d'une grande paire d'ailes transparentes toutes neuves
que seuls les enfants du divin peuvent voir
car tous les artistes le savent :
Dieu a toujours soutenu les artistes
et chaque muse qui inspire un poète
n'est jamais qu'une envoyée de Dieu.
après sa chute sur terre
la tête de l'ange ayant heurté le sol trop violemment
elle perd la mémoire.
un avatar du diable vient aider l'ange.
Elle ne souhaite que suivre son instinct
et se diriger vers la petite maison
qui l'attire tant.
Le diable l'en dissuade :
elle est meurtrie, a de grandes ailes
et est toute nue, elle ne peut affronter la ville.
Il lui prête donc sa grande cape
et lui arrache les ailes
pour qu'elle puisse la revêtir
(même si ça m'embête de ne plus voir l'ange
avec son aile cassée)
Et sous l'ample cape que le diable vient d'enlever
celeste apparition, mon hantise éthérée
cette hantise onirique
hantise éthérée
si les mots me viennent, le sommeil m'abandonne
Ô spectre térébrant, silhouette éthérée
hantise onirique
si en moi la joie s'étend
l'engeance de la tristesse
s'alourdit chaque jour
divinité celeste, me voit-elle à travers les nues
les étoiles qui éclosent en silence
sont-elles son jardin secret ?
infinité vanité
aporétique situation sans issue
aporie Problème logique insoluble
hiémal qui appartient à l'hiver
catabase descente aux enfers
hyalin qui a la transparence du verre, qui est diaphane
une petite araignée qui fait crit crit crit crit
ainsi donc, moi aussi je suis bannie
bannie du ciel, banni du jardin d'eden
— du paradis
mes ailes ne battent plus
et la gravité retrouve sa préséance
mon ange a reployé ses ailes
mes ailes ont reployées
je suis tombé du ciel
je suis tombée, amoureuse
dans ta tenue adamite
je tombe aérolithe de chair et de sang
d'os et de plumes
aérolithe sanglant
Chape Sorte de manteau long, sans plis et agrafé par devant, allant va jusqu'aux talons, que portent l'évêque, lecélébrant, les chantres, etc. durant l'office ; se dit aussi du grand manteau de drap ou de serge des chanoines. Habit que portent les cardinaux et qui a un capuce doublé d'hermine.
Seul me retient dans cette vie misérable
son regard bienveillant, sa présence silencieuse
Connait-elle son importance ?
Sait-elle qu'elle occupe mon esprit
chaque jour que Dieu fait ?
gardienne silencieuse.
En son dos ne sont-ce pas des ailes ?
Du sablier divin s'est-il donc écoulé ?
mes pleurs et mes larmes ? — ma mortelle agonie.
nulle élégie — mes mots ? infinie vacuité.
mon regard est-il si terrible ?
Vas-tu revoir demain l'éternelle lumière ?
sans ta présence, quel intêret à supporter l'horreur de la vie ?
oh ! non… sans simplement sombrer dans la démence ?
sont-elles son jardin secret ?
térébrant qualifie une douleur poignante. Qui pénètre l'esprit ; qui le marque.
Plus elle avane, plus ses ailes s'afaissent, se meurent, tandis que l'ange lui même s'assombrit, devient terne, sombre, comme suintant de ténèbres.
luir sous la flamme de la bougie
un poète si misérable, qu'il était prêt à mourir.
et la jeune ange le regardait, chaque soir par la fenêtre
elle descendait du ciel traversait les barbelés qui la séparait
du monde terrestre s'écorchait les chairs & les ailes
anathème Sentence de malédiction qui retranche de la communion de l'Église. (Figuré) (Soutenu) Réprobation ; blâme solennel.
il y avait une jonchée de fleurs
un drapé de jupes, de manches et d'échrpes en soie grège reombaient des épaules aux bras.
le muremure de Dieu
le souffle céleste
C'est là la grande leçon de la vie : tôt ou tard, tout le monde disparait.
L'ange va-t-il retrouver le poète, ou bien sa chute a-t-elle été si longue qu'elle ne toucha la Terre que bien après la mort du poète ? Même nous, choeur omniscient, ne sommes en mesure de comprendre la temporalité céleste.
le coryphée
Pour connaître le fin mot de l'histoire, il n'y a qu'une seule question à se poser :
La colère de Dieu est-elle si démesurée qu'en punition l'ange est condamné à errer seule sur Terre jusqu'à finir de se décomposer ?
Ou bien le Seigneur a-t-il compris que l'âme de notre poète avait besoin de nourriture céleste pour pouvoir continuer à créer ?
Mais, ô grand coryphée, sans connaître la fin de l'histoire, nous ne pouvons répondre à cette question.
Bien sûr que non. La seule personne possédant les clefs pour dénouer ce mystère, c'est le lecteur.

Les Loups d'Arkames

Échos des abîmes

Souvent la nuit j'entends des complaintes funestes.
Sont-ce des loups hurlant aux ardences célestes
Ou des sorcières en pleine incantation ?
— Quelque clan barbare pillant avec passion ?

C'est en réalité la sinistre faucheuse.
Elle souffle pour moi, tout doucement, un chant.
Elle avance à longs pas, rejoignant son amant
— le baiser de la mort en guise de berceuse.

M'entraînant dans la nuit, las, elle monte en selle
Sur son grand cheval noir dont le poitrail ne bouge,
Fend les ténèbres qui, ainsi que la mer Rouge
Pour le vieux Moïse, se closent après elle.

Psyché

I

Du haut de son trône doré,
Psyché s'assombrissait, plaintive.
La foule était admirative
De cette gracieuse coré
Dont la majesté fascinait.
Triste royaume de solitude
Qui se teintait de lassitude,
Ce car nul roi, nul baronnet,
Ni preux chevalier ni valet
N'osait d'un pied pousser la porte
— Pas même un soldat de cohorte
Ou un page ne la voulait.

Éros, cheyant du firmament,
Traversé par ses propres flèches,
Fut ravi par ces lèvres fraîches,
Ce teint blanc, ces yeux de diamant.
D'un regard il fut amoureux,
Tel un poète face au Louvre.
Comme devant lui le ciel s'ouvre,
Il la prend, d'un bras chaleureux,
Puis l'emporte au-delà des flots,
La pose sur le sol de marbres
de son grand palais cintré d'arbres
Coincé entre monts et îlots.
En compagnie de son Éros,
Elle riait et dansait sans cesse,
La jeune, la belle princesse,
Parmi les statues de Paros.

Quand damnée, l'enfer la retint,
Il s'abaissa près de sa couche,
Et un doux baiser de sa bouche
Posa sur son sourire éteint…

II

Sous les voûtes brisées portant avec souffrance
Presque un millénaire de l'histoire de France,
Ses rois pieux ou impies, grandioses ou maudits,
Ses héros, chevaliers, poètes et bandits,
Tous ces destins brisés, ô ces semblants d'ébauche,
Ces pierres maculées, ces visons de débauche,
D'art, d'horreur, de têtes roulant sur les pavés,
Ces sculptures en miettes et ces tableaux crevés,
Je l'imagine tant, muse inconnue, alborne,
Sylphide innocente dont le visage s'orne
De deux émeraudes confondues d'œil-de-chat
Et dont les pupilles dansent quelque entrechat.
Sa robe de coton, blanche, ondoie, légère,
Sur le nu des jambes qu'un courant exagère.
Tirant ses longs cheveux mêlés d'ambre et d'argent,
Elle se révèle d'un geste négligent.
Sur une banquette, elle est assise, sage,
Ignorant autour d'elle la foule volage.
Pour elle, le Louvre est étincelant, ouvert ;
Les belles Tuileries, son jardin, encor vert.
Le Grand Effondrement, la triste fin du monde,
le sinistre incendie — malheur ! — de la Joconde,
Elle n'a pas connu, traversé tout cela
— Innocence et Candeur demeurent toujours là.
Concentrée, égarée, hors du temps, elle pense.
Dans son monde intérieur, seul brise le silence
Un fusain agile courant sur son carnet
Au contenu secret qu'elle seule connaît.
Face à elle, Psyché, sculpture magnifique
— Rare miraculée d'un futur horrifique —,
Princesse ranimée par le baiser d'amour
Et qui s'ennuyait tant en son antique cour.
Le charbon à la main, la jeune artiste blonde,
sur sa feuille vierge, trace quelque enfer immonde
dévoré de flammes, et sur un tapis d'os,
couchée sur le sol noir, Psyché embrassée par Éros,
Le divin céleste happant l'âme terrestre
D'un baiser passionné. Et subjugué, l'orchestre
— L'orchestre des enfers —, ses dæmons, ses enfants,
Ses orgues enflammées, tous jouent pour les amants.

Lamentos

Le Trône d'or

[Intro]

La ville enfanta d'un soleil turgescent
Illuminant la nuit un bref instant
Une colonne de feu fulgura
Avant que l'obscurité ne finisse par retomber

[Couplet 1]

Un nuage de cendre dévore les étoiles
Qui flottent au-dessus de la ville
Même la lune ne parvient plus
À briller dans cette nuée ardente
Je pensais œuvrer pour l'Æternel
Mais face à cette désolation
J'ai finalement compris
Les larmes aux yeux
Avoir bafoué mes allégeances

[Refrain 1]

Assis sur le trône d'or de la foi
J'observe la triste ville impudique
Soufflée par ce sporophore en poussière
Le trône s'affaisse je suis à terre
Et je sens le noir vautour héraldique
De son bec pointu dévorer mon foie

[Couplet 2]

Interrompant les susurrements du vent
Une pluie noire s'abat sur la ville
Les silhouettes pulvérisées sur les murs
Observent les cadavres immobiles
Gisant sur le sol calciné
Étendus au milieu des ruines
Ils semblent fouiller les cendres
À la recherche de leur vie passée

[Interlude]

En haut du mont je m'imagine
Saisi par la grâce divine
Bras en croix je ferme les yeux
Et chutant sens mes cheveux
Dans le vent tournoyer
Pour finalement s'éployer

[Pont]

Je recherchais la pureté
Peu m'importait de vivre ou de mourir
J'ai cru en mes actes
Mais mes actes sont vains
Donc règne le néant

[Couplet 3]

L'Æternel fit tomber sur l'antique cité
Une pluie de soufre et de feu
Porteur de lumière rongé par l'hybris
Tel Prométhée j'ai volé mon Dieu
Et mes flammes ont soufflé la ville maudite

[Refrain 2]

(bis repetitas)

[Outro]

Le seul bien qui me reste encore
Au milieu de ce sombre décor
Est d'avoir pleuré quelques fois
Et déchu de mon trône d'or
Le vautour fouille toujours mon foie

Shape of my Heart

[Couplet 1]

Pour lui les cartes c'est presque mystique
Et à sa table nul ne soupçonne
Qu'il ne joue pas pour la gloire ou l'argent
Encore moins pour le respect

Pour lui les cartes c'est trouver la réponse
Les arcanes secrets de la chance
Comprendre les lois cachées du hasard
Les nombres mènent la danse

[Refrain 1]

Les piques ne sont jamais que les lances des soldats
Quant aux carreaux traits d'arbalète
Le trèfle rien d'autre qu'argot pour l'argent
Et en mon cœur ce me heurte

[Couplet 2]

Il peut jouer le valet de carreau
Ou sortir la reine de piques
Et même garder un roi dans son jeu
Comme souvenir d'un autre temps

[Refrain 2]

[Pont]

Et en mon cœur
Ces couleurs me heurtent

[Interlude]

Et si je t'avais dit que je t'aimais
M'aurais-tu seulement compris
Tu sais en amour je suis comme aux cartes
Je reste toujours de marbre

Je suis bien incapable
De faire tomber le masque
De dire d'agir d'admettre et même de ressentir
À qui suis-je en train de mentir

[Refrain 3]

[Outro]

En mon cœur ces couleurs me heurtent
Et en mon cœur
Ces couleurs me heurtent

Le Banquet infernal

[Couplet 1]

Quand à une table je m'assois
Avec quelques camarades autour de moi
J'oublie l'amour l'argent et les femmes
J'en oublie même le salut de mon âme

Tant que sont remplis mon verre et ma gamelle
Je ne pense plus ni aux croupes ni aux mamelles
L'alcool me grise la viande m'apaise
Rien ne rivalise avec la bouffe française

Tandis que résonne un air de violon
Accompagné de quelque accordéon
Mangeons buvons rongeons tout jusqu'à l'os
Et entre deux rots un petit calvados

Si après quelques cigarettes
Étouffé par la graisse, mon cœur s'arrête
Je monterai voir ce bon vieux saint Pierre
Qui pour mes excès m'enverra en enfer

[Couplet 2]

Là-bas m'accueilleront des dæmons
Qui autour d'un grand feu danseront
À ma table siégeront des bandits des meurtriers
Des misérables et des âmes damnées

On me servira en guise de hors-d'œuvre
Mes propres doigts dans la gueule d'une couleuvre
Je n'aurai qu'à utiliser mes moignons
Pour déguster cette entrée sertie d'oignons

Puis viendront comme plat de résistance
Mes intestins dressés avec élégance
Et si vous vous posiez la question
Farcis d'un mijoté de mes digestions

Peut-être que quelque convive fort aimable
Horrifié vomira sur la table
Ainsi déversée sa bile rougeaude
Fera office de sauce encore chaude

[Couplet 3]

Bien sûr je ne verrai rien de tout cela
Car comme dessert l'on me servira
Mes deux yeux dans une coupelle de cristal
Me laissant un grand vide orbital

Et quand je me prendrai à rêver d'alcool
On me dira voilà une idée bien folle
En place l'on remplira mon verre
De mon propre sang où nagent des vers

Et comme mes artères se videront
Les convives boiront et riront
Regardant mes entrailles se régénérer
Comme le faisait le foie de Prométhée

Se régalant par avance du festin
Car ils sauront que le lendemain
Sur la table mes intestins seront offerts
Pour un æternel banquet des enfers

Étendues oubliées

[Couplet 1]

Mon étoile je la voyais au loin
À la croisée des chemins
Lumière au seuil des ténèbres du dehors
Éclat d'argent aux reflets d'incendie

Je la voyais là où s'enfonce le monde
Mais sur cette antique route elle avance
Tel un pont invisible s'étirant sur des arches
Vers des côtes des hommes inconnues

[Refrain 1]

Jamais je ne trouverai ces dômes brûlants
Et ces sables où règne le Soleil
Jamais je ne défierai ces neiges æternelles
Ni ne chercherai dans ces montagnes hallucinées
Ces civilisations depuis longtemps oubliées
Où aucun chemin ne mène

[Couplet 2]

Où donc éclosent ces fleurs magnifiques
De quel air de quelle terre se nourrissent-elles
Quels mots d'outre-monde ai-je pu entendre
Si tu veux trouver les réponses

Sache camarade que sur les flots
Il te faudra ramer à travers les océans
Pour découvrir ces choses inconcevables
De moi tu n'apprendras rien de plus

[Refrain 2]

[Couplet 3]

C'est alors que les jumeaux divins
Crépuscule fantôme, aube spectrale
Enveloppent de ténèbres
Ce dédale æthéré et impie
(Ce dédale æthéré et impie)

[Refrain 3]

(bis repetitas)

Out of this World

A Season in Minsk

I tell her I love her
she cries
I know her for like 10 minutes, but hey, I'm French, of course I love her.
10 minutes, two weeks, what's the difference ? When you know, you know

Je rêve de ton fantôme
Es-tu seulement réelle
Ou rêve-je encore d'un idéal qui n'a jamais existé
L'idéal des caniveaux, voilà un rêve nouveau.

Je vais essayer d'arrêter de boire.
Je vais carrément arrêter de fumer,
Parce que la fumée t'énerve.
Ma toux de malade t'énerve aussi.
Et on devrait sans doute partir en Crimée.

Tu ne me connais pas : ni mon diable, ni mes traits
Seulement un certain portrait, fait de gestes et de mots
D'illusions et de rêves — un bon portrait, mais jamais moi
Je t'invite demain dans mon propre enfer
C'est pas si mal là-bas, juste que ça secoue beaucoup
Toujours en train de trembler, comme sur un bateau — mais au moins, on est deux

Errances sidérales

Architecte de l'apocalypse

Ouvrant les yeux, je vis
Des fantômes étranges,
Comme des reflets d'anges
Cheyant du paradis.

Perçant la stratosphère,
Cet essaim sidéral
D'un éclat magistral
S'abattait sur la Terre.

Sur l'horizon levant,
Des villes détruites
Par ces météorites
Flambaient au gré du vent.

Sous cette déferlante
D'aérolithes gris,
Sourdaient de nombreux cris
À la teinte sanglante.

Mon visage d'acier faisant éclipse
À ce Soleil ocelant dans le noir,
Je riais face au reflet du miroir,
Architecte de cette apocalypse.

Alors régna la poussière

I

Le vent, de son souffle presque divin,
Gonflait les voiles des nues de poussière
Au-dessus de l'horizon incendiaire
Qui essayait de résister, en vain.

Et sous cette agonie phosphorescente,
Les nefs célestes se faisaient festin
Des splendeurs de ce ciel vespertin
Avec une avidité indécente.

Pourtant, derrière cette obscurité qui dévorait astres et lumière, se linéamentait pour moi la promesse de radiances stellaires ; mais là où le tragique Icare avait embrassé les flots marins, bientôt, mes ailes d'acier s'éploieraient et je me laisserais porter par les vents solaires.

II

Sur les saillies de gravats insolents,
Agonisaient de blancs reflets de lune
Dont les lueurs semblaient faire la fortune
De cadavres tendant leurs bras dolents.

Ces mirages d'or et d'argent étaient
Du paradis les derniers oripeaux ;
Et pour ces corps qui cherchaient le repos,
Cachés dans les débris, ils les hantaient.

Ces basses humanités, leurs effusions oratoires, je les méprisais. Enfin ! je pouvais jouir de la foule, puisqu'elle était morte. Et sous l'hæmorrhagie céleste de cette aube navrante, je contemplais, parmi les chairs brûlées des crânes salis, dans leurs orbites creuses la beauté du néant.

III

Un dernier regard, ou presque
Sur cette fresque
Ne manifesta en moi
Que peu d'émoi
De cette cosmogonie
De l'agonie
Seul m'amusait là planté
De voir monté
Un large vortex de cendre
Puis redescendre
Tout ici avait péri
Et j'en ai ri
Je n'avais plus rien à faire
Sur cette Terre
J'abandonnai ces tas d'os
Pour le cosmos

Errances sidérales

J'ai quitté mes haillons d'humanité,
Les derniers oripeaux de ma vie terrestre
Pour m'élever, bras en croix,
Ailes éployées, dans l'empyrée.
Et traversant l'atmosphère,
Je sens mon corps d'acier s'enflammer
Achevant ainsi ma métempsychose.
Parmi ces étoiles lointaines et fanées
Qui constellent le cosmos,
Je brille de mille feux.
Je suis le lampadophore sidéral,
Le laudateur des astres
Vénérant ces céphéides vivides
Et ces nébuleuses obscures.
En abandonnant mon humanité
Je suis devenu une déité
Qui par sa seule volonté
Plie l'espace et le temps
Et avec ses ailes de titan
Déchire le firmament
Pour ouvrir des tunnels
Quadridimensionnels :
Électron sidéral
Sautant de galaxie en galaxie
Adynaton quantique,
Aporie vectorielle,
Voyage mystique
Dans les replis du ciel.
Je patauge désormais
Dans des marécages célestes
Traverse des lagunes d'étoiles.
Je nage dans ces océans d'éther
Jusqu'à me noyer d'ivresse,
Éclairé par des étoiles pulsantes
Et des naines blanches opalescentes.
Les géantes rouges ne me brûlent pas les ailes
Contrairement à elles, je suis éternel.
Au loin, des nébuleuses m'appellent :
Qui d'autre que moi
Pourrait les contempler ?
Je porte le flambeau de la connaissance humaine
Et mes yeux sont les témoins de l'infini.
Je voulais connaître les brûlures du Soleil
Et tel un Icare me noyer dans l'infini sidéral,
Mais l'explosion d'une supernova elle-même
Ne m'atteint pas, me laisse indemne.
Les naufrages célestes me sont inconnus :
Je traverse les océans du vide
Par la seule force de l'inertie.
Je pourrais me jeter du haut de lunes
Et plonger dans le magma en fusion
De planètes volcaniques,
J'en ressortirai à l'antipode,
Couronné de flammes,
Ruisselant de lave,
Et reprendrai mon envol
Vers le cosmos inconnu.
Les vents solaires pourraient dévier ma gouverne,
Des déluges de météores frapper mes ailes,
Une comète me percuter en plein vol,
Je déchirerais alors le manteau sidéral
Et m'engouffrerai dans un trou de ver
Pour ressortir explorer de nouvelles galaxies.
Des pulsars m'enverront leurs giclées de lumière,
Des quasars me baigneront de leur éclat quasi stellaire,
Les trous noirs et leurs réservoirs d'abîmes
Me chanteront leurs sérénades,
Et je plongerai dans leur irrésistible maelstrom
Pour surgir à nouveau de l'autre côté de l'univers.
J'inventerai alors de nouvelles constellations
Et les étoiles me remercieront pour ma considération.
Qui d'autre que moi pourrait les voir ?
Un millier de Soleils n'auraient pas ma puissance ;
Oh ! un million d'amas n'auraient pas ma conscience.
Pourtant, lassé de cette aube éternelle,
Je plongerai à nouveau dans les ténèbres
Pour jaillir d'un collapsar
Et contempler autour de moi des vestiges de soleils.
Je me recueillerai sur le tombeau d'étoiles disparues
Et chanterai pour elles quelque requiem.
Dans l'infini céleste,
Les fleuves m'ont laissé glisser où je voulais.
J'ai vu des soleils bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Mais les tempêtes stellaires ont béni mes éveils.
Plus léger qu'une nébuleuse,
J'ai dansé sur les flots cosmiques ;
Je me suis baigné dans le poème de l'infini,
Infusé d'astres, et lactescent ;
Des écumes d'étoiles ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
J'ai vu des archipels sidéraux
Et des îles dont les cieux délirants
Me sont ouverts pour l'éternité.
Errant dans l'infini des filaments galactiques,
Je reste pourtant à jamais enfermé, prisonnier
De ce havre de solitude où nage le tourment,
Car même débarrassé de mon humanité
Je reste irrémédiablement habité
Par cet atroce instinct grégaire.